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La critique gagnante du concours Jeune Critique du FEMA 2024

La critique gagnante du concours Jeune Critique du FEMA 2024

LaCinetek s'associe au concours de la jeune critique organisé pour la septième année par le Festival La Rochelle Cinéma. le concours portait cette année sur l’un des films programmés au Fema dans le cadre de la journée Daniel Day-Lewis ou de la rétrospective Marcel Pagnol. La grande gagnante du concours est Lou Leoty (21 ans) grâce à sa critique sur "Le Temps de l’innocence" de Martin Scorsese.

Les ombrelles de New-York
À propos du
 Temps de l’innocence de Martin Scorsese, avec Daniel Day-Lewis

“Heureux qui porte sa foi pure au fond de son cœur, il n’aura regret d’aucun sacrifice ! “  Faust II, Goethe.

C’est l’opéra adapté du chef-d’œuvre de Goethe, Faust, qui introduit le film de Scorsese, dessinant ainsi le reflet de la tragédie pudique qui va se jouer, le déchirement entre la passion et le conformisme, entre la pensée et l’action. Dès le générique floral et dentelé pensé par Saul Bass, le film dresse ses motifs : la dentelle pour la société corsetée, la fleur pour la passion et l’éphémère, une fusion impossible en ce New-York de 1870, dans lequel la tradition, les codes et la politesse font encore la loi.

Martin Scorsese adapte le roman d’Edith Wharton et signe un mélodrame en costumes très stylisé. Le Temps de l’innocence raconte le tourment d’un jeune avocat écartelé entre sa fiancée et sa cousine, une femme désinvolte qui scandalise la haute société new-yorkaise. 

Malgré un éloignement avec les autres œuvres du cinéaste, Le Temps de l’innocence donne un nouveau souffle aux thèmes chers à Scorsese. La haute bourgeoisie se confond avec ses habituels gangsters, à plusieurs reprises dans le film, ce microcosme est caractérisé par sa violence courtoise, son hypocrisie affable. On retrouve la virtuosité de mise en scène caractéristique de son œuvre flamboyante : des plans séquences époustouflants, une voix over extra-diégétique qui déchiffre cette sphère, et des inserts méticuleux allant des prodigieux mets à l’alignement impeccable de gants.

L’écrin de cette société civilisée, n’est comme pour Le Guépard de Visconti, qu’un simulacre, qui peut voler en éclat rien que par un murmure. Le film présente un monde vicié, prostré dans un archaïsme qui ne fait que ternir les individus, les étouffer dans son corset trop ajusté.

C’est dans une telle société que Newland Archer, jeune homme élégant et poli, voit ses propres convictions mises à rude épreuve. La brisure entre tradition et liberté s’opère par le truchement de deux femmes physiquement et symboliquement pensées comme des opposées: l’une, brune, est associé au blanc, au muguet et à la pureté, l’autre, blonde, liée aux roses jaunes, au rouge, au scandale et au stupre.

Daniel Day-Lewis impose une performance subtile, intérieure, sous les traits d’une pudeur quasiment marmoréenne traversée par les fissures du doute et d’une infinie douleur, que seule déride l’irrévérence de la comtesse.

En définitive, le film s’interroge sur le devenir de l’art et de la beauté au cœur d’une société dans laquelle rien ne peut dépasser. Lors de la photographie de mariage, le maître de la chambre noire n’est autre que le cinéaste lui-même, clin d’œil amusé qui lie le temps d’hier à celui d’aujourd’hui. L’œuvre abonde en références picturales qui se substituent parfois aux personnages. Le film pose Newland Archer en esthète, seul à percevoir la vie par le prisme de l’art. Scorsese habille son film de multiples références, des morceaux de Beethoven et Strauss aux tableaux de Bouguereau et Tissot.

Newland désire ardemment la comtesse puisqu’elle aime l’art, elle est muse, donc peut devenir le sujet d’une mise en scène fantasmée dans sa psyché. Ellen est une idole, un sacré que l’on ne peut posséder, une réminiscence, un tableau serein. Newland est un Faust qui ne passe jamais de pacte avec le diable, il constate avec amertume que la vie n’atteint jamais la hauteur de l’art, que le temps a passé comme un navire sur l’eau. En raison du conformisme, le temps de l’innocence et des ombrelles s’est effacé pour laisser languir celui des regrets et des bancs délaissés.

“Ah! Dieu! l’art est long, et notre vie est courte!” Faust, Goethe.

 

- Lou Leoty 


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